La chanteuse de Charleroi avait frappé très fort avec son deuxième album. No Deal (2013, Pias), ovni jazz-pop acoustique en apesanteur, composait autant avec le silence et l’absence qu’avec sa voix grave et charnelle, citait autant Mark Hollis que Bill Evans, Portishead que Nina Simone, Robert Wyatt que Miles Davis… En trente-quatre vertigineuses minutes, Melanie De Biasio inventait un cross-over parfait, entre swing et résonance trip-hop, rock et jazz. En mai dernier, toujours accompagnée des fidèles Dré Pallemaerts (batterie), Pascal Mohy (piano), Sam Gertsman (contrebasse) et Pascal Paulus (synthés), elle revenait avec le radical Blackened Cities, longue suite de vingt-quatre minutes en forme d’odyssée post-jazz dédiée aux cités post-industrielles.
Depuis les vallées sidérurgiques de sa Wallonie natale, la chanteuse sait de quoi elle parle. La magnifique pochette (une photo de Stephan Vaneteren) capture le complexe industriel de Dampremy où l’on imagine que ses deux grand-pères travaillaient. Et les splendides sinuosités en crescendo de cette longue plage musicale immersive prennent un tout autre sens. Les éclats sombres et les zébrures trip-hop, les embrasements hypnotiques coltraniens, les soubassements sonores à la Brian Eno, résonnent alors comme une élégie floydienne à toutes ces villes oubliées de France, d’Angleterre, des États-Unis… Ce Bitches Brew acoustique du 21e siècle vient de gagner un Worldwide Awards à Londres, comme un appel à aller chercher la lumière derrière l’ombre.